J’ai du mal à cacher ma déception, c’était agréable ce bout de chemin ensemble.Je quitte le ravitaillement à la seconde où il ferme, sans Jean-Paul…Jean-Paul progresse à son rythme, avec de nouveaux compagnons d’infortune : Alex et Soraya. Nous croisons Alain qui se réjouit de notre regain d’énergie.A mesure que nous avançons, les raidillons se multiplient, les escaliers de pierres refont leur apparition, le soleil brûlant vient concentrer ses rayons sur la roche comme sur les parois d’un four.Chaque point de vue sur la dentelle de crêtes verdoyantes nous coûte ½ litre de sueur. Nous ne ferons pas la course au jeu de piste du sentier scout, mais ferons honneur à la devise: Je ne sais plus très bien où j’ai recommencé à vomir : c’était quelque part où il y avait de la soupe… La solidarité s’organise immédiatement autour de moi : Flo m’offre un marshmallow énergétique, et Phil un gel en bonbec façon Haribo cœur coulant. Si nous avions su, nous aurions réparti différemment le temps passé à chaque ravito, pour tirer parti des services offerts (soit à Encumeada, soit à la base vie). Je pense à un p’tit gars, dont la petite lettre a voyagé dans la bretelle gauche de mon sac serrée tout près du cœur. Notre traversée aurait rivalisé avec les meilleurs moments d’Intervilles si Juliette ne s’était pas mouillée jusqu’aux genoux pour nous tenir la main. Pourvu que Ludo ne se soit pas trompé de chemin, car il est à présent hors de vue.On se refait tout neufs avec JP : toilette, soins des pieds, fringues propres. Sa cadence mesurée au feeling, sans GPS ni montre, est parfaite pour voyager Je les réchauffe contre un gobelet de soupe chaude au ravitaillement de Mon Jean-Paul protéiné enjambe les barrières à vaches comme un champion de steeple, et s’élance tout pimpant dans la montée de Kerveguen. La montagne, le chemin et la forêt se sont-ils mis d’accord pour se mettre à ma mesure ? Toujours garder espoir !Ce que j’ignore, c’est que Jean-Paul ressent la même scène en négatif. Nous y parvenons in extremis, 5mn avant la fermeture ! Le parcours est plutôt facile et agréable jusqu’au La grosse difficulté qui nous saute à la gorge porte un nom qui siérait à une divinité maléfique, dans un nouvel épisode des Aventuriers de l’Arche perdue : Nous avançons vraiment bien alors. Florian a le don de transformer immédiatement la mésaventure en un trait épique : Revue des troupes : le genou de Flo n’est plus d’accord pour qu’il coure, Phil est pris en étau entre sa hanche gauche et son mollet droit, JP grelotte accroché à sa bouillotte de fortune, Ludo et moi sommes à jeun ou presque, depuis 24 heures. COURIR AU-DELA DE NOS FORCES POUR LA RECHERCHE CONTRE LES MALADIES RARESPassons aux joueurs à présent. Ludo, gentleman-marathonien sous les 3 heures, cache sous une apparence sage et tempérée, une fougue de yearling à Epsom. Je me cale dans une toute petite cadence, à l’abri des bousculades en marge du troupeau, prend une longue inspiration, et ouvre mes sens à la fête. Tout se mérite, sur cette île.Nous croisons de nombreuses sources où nous pouvons nous rafraîchir. 57 heures où se sont mêlés l’exaltation et le dépit, la confiance et le doute, le plaisir et la douleur, où j’ai pris, donné, suivi, mené, où j’ai admiré, souffert, où j’ai grelotté, transpiré, vomi, dévoré, rit, pleuré… 57 heures d’une aventure partagée qui ont mis en pièce mon âme solitaire et souligné la force extraordinaire de notre petit groupe. Il a toujours le sourire et un petit mot d’encouragement.Nous arrivons à Encumeada  vers 11h30, avec toujours 1h d’avance toujours sur la barrière horaire.Là nous découvrons le 3 étoiles Michelin du ravito : de la viande hachée avec riz ou pâtes, des tables et des chaises, des cubis de boisson sportive de toutes les couleurs, de vraies toilettes, et même, des matelas pour une petite sieste de récup’.On a bien mangé, et on a bien fait. J’étais un gros boulet dans les escaliers. On n’a pas dormi, et on a merdé…Nous repartons le ventre lourd mais le pied léger vers la prochaine étape : la base vieLa feuille de route annonce 14km pour 900d+, à faire en 3h si nous voulons garder notre avance : cela nous parait alors très, très large.Je commence à en douter sérieusement lorsque nous arrivons au pied d’un escalier de rondins vertical longeant une sorte de pipe-line. Le chemin parfait : ombragé tout en ménageant des points de vue saisissants sur le cirque des montagnes, assez vallonné pour ne pas s’ennuyer mais pas trop pour ne pas souffrir, tapissé d’un sol doux et élastique, fleurant bon l’humus des sous-bois et les essences aromatiques.Nous évoquons, exactement au même moment l’endroit où ces sensations nous transportent : dans les forêts de Nouvelle Zélande, où nous avions couru 2 ans plus tôt.Pour moi, c’est le meilleur moment de la course, facile en plus.

Songeant au chemin qu’il reste à faire pour atteindre le prochain Check point 1000m plus haut, je commence à me faire du souci pour la barrière horaire.Nous quittons peu à peu le halo rassurant des lueurs de la civilisation, pour une forêt d’eucalyptusJ’admire Jean-Paul qui grimpe « facile » sur cette pente raide : il a bien bossé son programme de muscu, contrairement à moi. Une vidéo de la Megamarsch à Munich sur MIUT 2019: Une leçon d’humilité, une aventure partagée! Sa sphère blanche et lisse parait située à un jet de balle.Le chemin suspendu entre le précipice et les pics semble continuellement hésiter entre ces 2 limites au jeu du labyrinthe minéral: il plonge dans le ravin en équilibre sur des escaliers métalliques, puis tente d’enjamber les crêtes par de hautes marches de pierres. Jean-Paul prend donc la chose avec son optimisme légendaire, se disant qu’après tout, muni d’un seul bâton, il se prépare à moitié pour la Diag’ !Bien qu’ayant vaillamment trotté, nous sommes un peu déçus de ne pas avoir gratté encore un peu d’avance au ravito.